Une soirée bien improvisée à la Comédie-Française

Le monde - 25-06-2022 - Sandrine Blanchard

Une soirée bien improvisée à la Comédie-Française

« Pour venir là, il a fallu partir de loin » : les paroles introductives entonnées, vendredi 24 juin, par le groupe de musique Oliv’et ses Noyaux, sur la scène de la Comédie-Française, résument bien la soirée si particulière qui a électrisé la maison de Molière. Pour la première fois, l’improvisation théâtrale a eu les honneurs de la salle Richelieu. « On vit un moment historique », a résumé Mélanie Lemoine, maîtresse de cérémonie de la finale nationale du Trophée d’impro Culture & Diversité. Pour sa douzième édition, ce rendez-vous s’est tenu sous les ors et les pampilles de cette institution théâtrale. « Il aura fallu beaucoup de temps et d’énergie pour faire se rencontrer ces deux mondes », a reconnu la comédienne.

Sur scène, le cérémonial des matchs d’impro est respecté à la lettre : une patinoire en guise d’aire de jeu ; douze collégiens improvisateurs en herbe vêtus de maillots de hockey et accompagnés de leur coach ; un arbitre (Nour el Yakinn Louiz) en tenue noir et blanc, qui édicte les thèmes de chaque impro, siffle les fautes éventuelles et comptabilise, avec ses deux assistants, les votes du public ; des musiciens qui chauffent la salle et comblent les temps de concertation. Nanka, Slimane, Assetou, Emma, Léo, Yousstoine, Daniel, etc., enchaînent six improvisations de durées imposées, en forme mixte (les équipes peuvent jouer ensemble) ou comparée (les équipes se succèdent) et sur des sujets variés : « Pois chiches, harissa et olives noires », « Un blaireau sur la départementale », « Cachez ce vin que je ne saurais voir » à la manière de Molière, etc. La Comédie-Française n’a jamais vu ni entendu ça. Millésime d’exception

La salle est joyeuse. Deux mondes et plusieurs générations s’y côtoient. D’un côté, des dizaines de collégiens issus des onze équipes régionales d’impro venues de toute la France avec leurs coachs et professeurs. Pendant la journée, ils ont participé au tournoi pour déterminer les deux équipes finalistes. Habitués des matchs, ils mettent l’ambiance. De l’autre, des invités plus âgés, novices de ce type de spectacle, certains un peu désorientés, mais se prêtant au jeu de brandir le petit carton remis en début de séance pour élire les meilleures prestations. Des officiels sont aux premières loges, parmi lesquels deux ministres de la culture – Jack Lang et Rima Abdul Malak, la toute nouvelle locataire de la Rue de Valois –, la première dame Brigitte Macron et l’entrepreneur milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière, créateur de la Fondation Culture & Diversité pour favoriser l’accès à la culture des jeunes issus de milieux modestes. C’est grâce à sa rencontre, en 2010, avec Jamel Debbouze – qui doit tout à l’impro – que le Trophée est né et s’est développé sous la direction artistique d’Alain Degois, surnommé « Papy » et découvreur de l’humoriste. A édition exceptionnelle, déroulé exceptionnel. Au match des collégiens, remporté par l’équipe Ile-de-France-Normandie, a succédé un étonnant « match de gala », réunissant quelques collégiens et des comédiens professionnels, dont Serge Bagdassarian et Séphora Pondi, de la Comédie-Française, ainsi que Jamel Debbouze. Aucun n’a joué la vedette, tous ont respecté l’esprit d’équipe et se sont amusés. Il fallait voir l’improbable duo Serge Begdassarian et Jamel Debbouze improviser en chantant sur l’air de We Will Rock You, de Queen.« Cette turbulence nous fait un bien fou. Tout ça, c’est grâce à Papy Degois. Si Molière était là, il trouverait que cette journée est la plus fidèle à son art et à son geste », a défendu Eric Ruf, l’administrateur de la Comédie-Française, à l’issue de la représentation. Alors que Marc Ladreit de Lacharrière déroulait les remerciements et les chiffres du Trophée d’impro depuis sa création (133 collèges partenaires, 6 500 jeunes), Jamel Debbouze semblait encore étonné d’avoir pu fouler cette scène prestigieuse. « Grâce à cette discipline, j’ai pu m’exprimer et avoir le sentiment d’être digne », a rappelé l’humoriste, avant de lancer : « Liberté, égalité, improvisez ! » Au milieu des collégiens réunis pour la photo souvenir se sont glissés, au premier rang, Brigitte Macron et Rima Abdul Malak. L’impro bientôt intégrée à l’option théâtre dans les établissements scolaires ?

Sandrine Blanchard